Secteur associatif: courrier d'une lectrice

Madame,

J'ai lu avec attention votre article publié le 17 mars intitulé: "Là, c'est la guerre", Aide à Domicile... du point de vue d'une entreprise de services d'aide à domicile, où 60 auxiliaires de vie interviennent auprès de 350 personnes fragiles.

Je suis moi-même auxiliaire de vie sociale, diplômée d'état, salariée depuis 15 ans dans une association à but non lucratif, adhérente au Syndicat Départemental de l'Action Sociale Force Ouvrière, dont je suis la trésorière adjointe, également en charge du secteur de l'Aide à Domicile sur le plan départemental, en équipe au plan régional, et au plan national, je suis membre du Conseil de la Fédération Nationale de l'Action Sociale Force Ouvrière, laquelle m'a mandaté Négociatrice pour la Branche de l'Aide, de l'Accompagnement, des Soins et Services à Domicile, je négocie en équipe.

Je viens par ce mail me faire le relais de témoignages de salariés du secteur associatif sur la gestion de la crise sanitaire que nous subissons de plein fouet aujourd'hui, en soulignant que le secteur est déjà fragilisé par des conditions de travail très dégradées et par de faibles salaires.

Assaillie depuis lundi d’appels de salariés désemparés par le manque d’informations, livrés à eux même parce que soit la direction n’avait pas de réponse à leurs questions, soit elle était injoignable, s’adaptant comme ils le peuvent aux nouvelles conditions de travail, certains en détresse parce qu’obligés de travailler et effrayés à l’idée de contracter la maladie et de la transmettre à leur conjoint atteint de cancer ou de maladie chronique invalidante, j’informe et rassure autant que je peux.

A l’heure du confinement renforcé pour limiter la propagation du virus, les salariés de l’aide à domicile se déplacent toutes les heures ou demi-heures. D'une  association à l’autre, dans un même réseau d’employeur, la situation de ces salariés est différente concernant le matériel de protection distribué et les consignes d’utilisation : à peu près tout le monde est équipé de gants et savon, mais concernant les masques, tout le monde n’en a pas, ou travaille simplement avec un ou deux masques (situation lundi)… les consignes d’utilisations sont inexistantes par endroit: comment le met-on ? Combien de temps faut-il le porter ? Comment l’élimine-t-on, comme un déchet ménager ou comme un déchet médical potentiellement contaminé et contagieux ? Dans une association, la consigne est de le porter une demi-journée et on le jette, sans préciser où, dans une autre on laisse le salarié se débrouiller seul, et dans une autre, on est très précis, on le met sans le toucher en utilisant les élastiques, on le porte 24h, on l’enferme en le prenant par les élastiques dans un sac hermétique pour une durée de 48h, car le virus reste actif 24 h, et… on peut le remettre… Une partie de la consigne étant écrite, l’autre orale. Le problème de pénurie semble ici avoir été résolu ! Ailleurs, depuis avant-hier, on commence à équiper les salariés de vrais masques respiratoires FFP2, mais sans consigne d’utilisation… Les salariés s’inquiétant car ils entendent partout qu’il y a pénurie de ces masques, qu’ils sont réservés en priorité aux personnes en contact avec des malades… ils s’interrogent légitimement car aucune information supplémentaire ne leur est donnée.

Concernant l’organisation du travail, dès lundi, la consigne donnée était  " on n’intervient plus pour le ménage, on ne se concentre que sur les actes essentiels : aide à la toilette, lever, coucher, médicaments, repas et courses" . Il en ressort que les « agents à domiciles » ne sont plus sensés travailler, restent en activité les « employés à domicile » et les « auxiliaires de vie sociale » qui préviennent les bénéficiaires par téléphone des modalités d’interventions. Certains se rendent toutes fois au domicile des bénéficiaires pour les rassurer, mais sans kit complet de protection ni formation pour appliquer le protocole de désinfection, ils deviennent des vecteurs potentiel du Covid 19. Ainsi, en pratique, dans beaucoup d’association, cette organisation est laissée à la bonne appréciation de ces deux catégories de salariés, le personnel administratif étant d’origine en surcharge de travail, il gère souvent à distance aujourd'hui, et se retrouve plus que débordé. D’une façon qui semble admise, le personnel « agent à domicile » spécialisé dans l’aide au ménage, ne travaille plus, mais par endroit, la consigne n’est pas bien passée, les administratives n’ont pas eu le temps de modifier les plannings, si bien que des salariés qui auraient dû rester chez eux sont allés travailler sans protection par crainte de perte de salaire, ce sont les représentants du personnel, lorsqu'ils assurent leur rôle, qui vérifient que les consignent soient bien passées et qui viennent compléter le travail de l'administratif, mais pas toujours, parfois, ils semblent avoir désertés.

La question de la rémunération est une réelle source de stress et d’angoisse. Pour les salariés au SMIC, 100% du salaire pris en charge, pour les autres 84%... soit une différence de prise en charge entre les deux de 16%, cette question m’a été posée: « Aujourd'hui, si je suis payée moins de 16% au-dessus du smic, vais-je percevoir moins que le smic si demain je ne travaille pas du tout? ».

Hier soir, j’ai été sollicitée par un représentant du personnel qui travaille dans une grosse structure où l’employeur veut mettre en place une procédure de chômage partiel.

Un sentiment d’insécurité est palpable : nous intervenons au domicile des personnes, sans véritable protection ni information, nous nous heurtons au secret médical, en action de travail, nous pouvons exercer notre droit de retrait, mais si nous suspectons un danger grave et imminent, pour cela, il faut le constater sur place, avoir pénétré dans le domicile d’une personne possiblement infectée, plus que jamais une majorité du  personnel de terrain se sent isolé, certains utilisent le mot menacé, mais admet être tiraillée entre ne pas vouloir abandonner les personnes aidés et se protéger. Nous n’avons pas encore atteint le pic de contamination et beaucoup ont pris conscience que dans très peu de temps, nous allons nous retrouver sur le même front que les soignants sans aucune préparation…. En 2015, un décret autorisait les aides à domicile à pratiquer la pose de sonde endo-trachéale, aux informations nationales, on voit du personnel infirmier formé en urgence à ce geste, on sait que la maladie entraîne des troubles graves de la respiration, on connait le problème de place dans les établissements…. Le mot réquisition se murmure déjà dans des associations. Nous ne pouvons nous empêcher de faire le lien entre tout ça..

Le projet de loi d’urgence sanitaire ne contredit pas cette rumeur, il tend à confirmer nos craintes et n’est pas du tout rassurant pour l'avenir de notre secteur.

Enfin, les aides à domicile du milieu associatif regrettent une fois de plus que l'on parle aussi peu de leur secteur, et que les rares fois où l'on en parle, on en brosse un tableau au couleurs pastels, ce qui n'est pas la réalité.

En espérant que ce récit retienne votre attention, je me tiens volontiers à votre disposition pour de plus amples renseignements.

Cordialement,

Geneviève Debilliers