Histoire de Sète

Pourquoi une rue Montmorency à Sète ?

amontP1100972C'est la question que l'on peut se poser en lisant le nom de la longue voie descendante qui relie le boulevard Chevalier de Clerville à la rue Rouget de l'Isle , non loin du plan Joseph Soulet où siègent les Archives municipales. Pourtant, deux représentants d'une des plus puissantes familles du royaume de France aux XVIè et XVIIè siècles jouèrent un rôle dans l'histoire de Sète. Et l'action d'Henri Ier de Montmorency (1534-1614) aurait pu être décisive.

 

En effet, celui qui, à l'exemple de ses ancêtres, cumulait charges et fonctions fut gouverneur du Languedoc (chargé des affaires militaires) sous le règne d'Henri IV. Et il apparut au gouverneur et au monarque que la frontière maritime de la province n'était pas sûre et qu'elle était plutôt un obstacle au commerce qu'un facteur favorable. Du Rhône à Leucate, pas de rade commode et assurée. Les atterrissements comblent étangs et passes. Ainsi des graus desservant Montpellier et Narbonne. Celui de Frontignan est de fonds réduits. Agde, port traditionnel de la province, doit compter avec la barre au débouché de l'Hérault et des bancs de sable dans l'estuaire. Dans l'Histoire de Sète (Privat 1988, p. 42), il est souligné que "seuls, de petits bateaux de pêche ou de négoce au cabotage peuvent s'accommoder d'une telle situation". En plus, selon la même source, "la veille continue de corsaires et de pirates sur le golfe ne peut assurer une paisible navigation". De l'îlot de Brescou au cap d'Agde, le pirate Barberoussette mène ses expéditions.

 

C'est là qu'intervint le gouverneur du Languedoc Henri Ier qui délogea Barberoussette de Brescou en 1586 et éloigna le danger du mont Saint Clair. Et Henri IV et le gouverneur conçurent un projet plus ambitieux en vue de sécuriser la province : créer un port.

C'est ce qu'ordonnait l'arrêt du 23 juillet 1596, demandant – sur rapport de Montmorency – que soit créé "un port au cap de Cette". Cet abri serait protégé par une forteresse afin de parer à tout acte hostile.

Henri de Montmorency confia l'exécution du projet à Pierre d'Augier, gouverneur de Bagnols, prévôt général du Languedoc, qui reçoit le titre de "gouverneur et capitaine des ville, château, port et anse de Cette".

Les Etats du Languedoc, jaloux de leur autonomie, refusent tout financement. Celui-ci doit être assuré par "la crue (prélèvement) de 10 sols par minot de sel (39,36 litres) perçue dans les 17 greniers à sel languedociens et l'impôt de 2 % sur les marchandises empruntant les graus de Frontignan et Maguelonne". Et à Saint Clair, il est bâti le fort de Montmorencette, tandis qu'au lieu dit aujourd'hui le Lazaret, surgissent môles et jetées. En 1601 selon d'Augier, "le port se porte bien". En 1605, il peut abriter douze vaisseaux et une galère du duc de Savoie. Mais les dépenses ont, de loin, dépassé les prévisions. Le financement prévu s'avère très insuffisant pour y faire face.

 

D'Augier mourra ruiné après avoir engagé sa fortune personnelle. Peu à peu, l'abri est délaissé. De tout cela ne restera-t-il que le fort de Montmorencette ?

 

Hervé Le Blanche



Eugénie Cotton (1881-1967), une militante universaliste.

C'est par son action à l'échelle mondiale qu'Eugénie Cotton retient le plus l'attention. "Compagnon de route" du Parti Communiste français, son action, en France et à l'échelle mondiale, lui valut d'être prix Staline en 1950. Dans le quartier du Château vert à Sète, en hommage à son action, une école primaire porte son nom.

 

cottonP1100907 (2)Cette école ne figure pas (selon la notice d'Internet) dans la liste des rues et établissements scolaires qui, en France, portent le nom de Cotton. Est évoqué tout un florilège incluant Paris et des villes de banlieue, Lanester en Bretagne, Romilly sur Seine dans l'Aube, Talange en Moselle. A Paris même, une rue dans le XIX è porte son nom. On n'enviera pas Lanester ou Talange, mais Sète rend hommage à Eugénie Cotton, même si c'est une municipalité communiste qui en a décidé ainsi. On peut le comprendre car, celle qui n'a pas adhéré au parti communiste incarnait un idéal que "le parti" proposait alors aux femmes de réaliser. Elle était mariée et avait enfanté quatre fois.

Elle était une scientifique de haut niveau (elle est docteur en Sciences physiques en 1925) et elle est une militante engagée. La notice rapporte qu'elle a "apporté son aide aux antifascistes allemands réfugiés en France depuis 1933", puis aux Espagnols opposés au régime franquiste. Elle fut démise par le régime de Vichy de la direction de l'Ecole Normale de Jeunes Filles de Sèvres en 1941. Cela ne l'empêchera pas, plus tard, d'être faite chevalier de la Légion d'Honneur.

 

A la Libération, dans le sillage de l'action communiste en France, elle contribue à fonder l'Union des Femmes françaises (décembre 1944), dont la présidente était Jeannette Vermeersch, la compagne de Maurice Thorez. Le mouvement, initié par le PC, s'étend, attirant, à l'image d'Irène Joliot-Curie (fille aînée de Marie Curie, éminente scientifique), les idéalistes sincères. En 1944, l'Union groupe 180 000 membres, 627 000 en septembre 1945. Cette année-là, Eugénie Cotton devient présidente de la Fédération Internationale des Femmes et rien moins que vice-présidente du Conseil mondial de la paix. C'est l'époque du Mouvement pour la Paix qui porte les espoirs d'une partie de l'opinion mondiale.

Après cinq ans de massacres et de destructions inouïs, les peuples aspirent à la paix. Dans les foyers, dans les cœurs, voilà un mot qui résonne. Et, insistera Claudine Monteil dans Marie Curie et ses filles (Calmann Lévy 2021), ce qui compte avant tout, pour beaucoup, c'est d'avoir un toit, reprendre un travail. Et quand en 1950, le Mouvement mondial des partisans de la paix lancera l'appel de Stockholm pour la paix et l'interdiction de l'arme atomique, signeront, outre les communistes, bien des gens de bonne volonté.

 

Ainsi de Marc Chagall, Duke Ellington, Yves Montand et un jeune étudiant prometteur du nom de Jacques Chirac. Albert Einstein refusa de signer la pétition. Pour lui, le régime stalinien n'était qu'une dictature qui désinformait l'opinion. Pas pour Eugénie Cotton.

Hervé Le Blanche

1960 : De Gaulle à Sète

En voyage officiel dans le Sud de la France, le général de Gaulle fait une halte à Sète le 28 février 1960. Du balcon de la mairie, et devant une foule importante, il adresse aux Sétois quelques mots de remerciement chaleureux, avant d'entonner la Marseillaise.

 

"Si l'accueil amical et généreux d'une ville n'a jamais donné du réconfort et n'a jamais servi de témoignage à la France, eh bien l'accueil de Sète est par excellence cet accueil-là ! Vous toutes, vous tous qui êtes ici, je vous en remercie de tout mon coeur, pour moi-même, car c'est un honneur que vous me faites, et pour la patrie tout entière car c'est une preuve que vous lui donnez. Le soir tombe, j'ai gagné ma journée et je vous assure que tout au long de ma route, et en particulier chez vous, j'en ai recueilli un immense et utile réconfort. Alors tous ensemble, devant cette mairie qui est la maison commune, et notamment qui est la mienne, nous allons tous ensemble chanter l'hymne national : la Marseillaise !"
Charles de Gaulle, 28 février 1960

   

 L'Institut National de l'Audiovisuel (INA) a mis en ligne sur son site des documents d'archives retraçant les déplacements officiels que le général de Gaulle effectua dans toute la France entre février 1959 et juin 1965, en particulier le neuvième qui du 25 au 28 février 1960 se déroule dans le Languedoc.
À Sète, le dernier jour de son périple, il est accueilli sur la place Léon Blum par le maire communiste Pierre Arrault, qui ne s'est prononcé qu'in extremis en faveur de la réception officielle : voir le film vidéo de l'INA

 Dans cet extrait du discours, transparait la communion et l'unité entre les Français et leur président.  Selon Aude Vassallo qui présente la vidéo de l'INA, "dans cet extrait du discours, ne figurent que les traditionnels remerciements pour l'accueil chaleureux de la ville de Sète et des Sétois (nombreux à être venus l'écouter) et la toute fin de la déclaration du Général. Néanmoins, grâce au journaliste Pierre Viansson-Ponté, nous savons qu'il reprend les thèmes développés à Narbonne, le jour précédent : alors que la première bombe atomique française a explosé treize jours plus tôt à Reggane, le discours du Général se consacre à la " politique de grandeur " poursuivie par la France, seule politique capable de lui offrir l'opportunité d'influer sur le destin du monde. Devenue une puissance atomique, la France peut désormais se tenir " debout ", elle " doit avoir des alliés et des amis, mais elle n'a pas besoin de protecteur ".

Le général de Gaulle arrive de Béziers par le quai de la Marine

Vous avez dit Cotton ?

Dans le quartier du Château vert, un peu en contrebas du boulevard Chevalier de Clerville, le nom d'Eugénie Cotton a été donné à une école primaire et maternelle. Pour le grand public, cette appellation reste énigmatique. Or, Eugénie Cotton (1881-1967) fut une ardente militante et une scientifique d'envergure.
 
cottP1100906 (2)Les sources les plus accessibles ne nous livrent que son nom d'avant son mariage (Eugénie Feytis) et ses épousailles avec Aimé Cotton (1869-1951), physicien, enseignant à la faculté des Sciences de Paris et à l'Ecole normale supérieure de Saint Cloud. Ils auront 4 enfants dont un mourut en bas âge. Nous ignorons tout d'elle jusqu'à son entrée à l'Ecole normale de jeunes filles à Sèvres en 1901. Tout au plus peut-on supposer qu'elle venait d'un milieu suffisamment aisé pour lui permettre de poursuivre des études secondaires scientifiques. A Sèvres, elle va faire une rencontre déterminante. Une certaine Marie Curie est chargée des conférences de Physique des première et deuxième années de l'Ecole normale.

Selon Claudine Monteil, dans Marie Curie et ses filles (ed. Calmann Levy, 2021), Marie Curie, au terme de six années d'enseignement, va "marquer une génération de jeunes élèves". Eugénie Cotton se passionne pour les manipulations, mesures et surtout les "discussions après coup sur les résultats obtenus".

 

Cela change d'un enseignement jusque là livresque. Et Marie et Pierre Curie, Paul Langevin deviennent des amis. Eugénie Cotton semble-t-il s'épanouit dans la poursuite de son cursus, reçue première à l'agrégation de Sciences physiques et naturelles en 1904.
 
Elle enseigna au collège de Poitiers, puis à l'Ecole normale supérieure de jeunes filles. En 1925, elle est docteur d’État. Mais c'est sous le gouvernement du Front Populaire que son rôle va prendre de l'importance. Trois femmes font partie du gouvernement Blum, dont la fille aînée de Marie Curie, Irène Joliot-Curie, sous-secrétaire d’État à la Recherche. Celle-ci, malgré son aversion pour la politique, a accepté le poste pour faire avancer les revendications féminines vers plus d'égalité et agir pour le développement de la recherche scientifique.

 

Bien que bridée par son ministre de tutelle, Jean Zay, Irène Joliot-Curie n'entend pas se limiter au rôle de "femme-alibi". Elle veut être utile à son poste, malgré une ambiance peu favorable. Elle nomme Eugénie Cotton à la tête de l'Ecole normale de jeunes filles de Sèvres avec pour mission d'aligner la condition des sévriennes sur celle des normaliens de la rue d'Ulm : avoir le droit de passer la licence et l'agrégation, devenir professeures de l'enseignement secondaire et briser "le plafond de verre" en faisant carrière dans l'enseignement supérieur.
 
Même si la route est parsemée d'obstacles pour les jeunes scientifiques désireuses d'atteindre une position digne de leurs compétences, une porte s'ouvre. Les plus conservateurs ne s'y trompèrent pas : Vichy mit Eugénie Cotton à la retraite en 1941. Il est vrai qu'en plus d'être féministe, elle était antifasciste militante.

 

Hervé Le Blanche

Sète avant la Grande Guerre.

Sète avant la Grande Guerre.

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Les faits rapportés dans "Jours de Cette" s'étalent sur 20 ans (1893-1913). L'ouvrage (éd. L'An Demain, 5 quai d'Alger), écrit par François Mottier et illustré par Jean Brunelin, évoque par le biais de la correspondance d'un commis suisse et de sa mère ce qui a fait longtemps l'identité de Sète, ainsi que l'écho des grands évènements.

 

C'était au temps (avril 1897) où, en promenade sur le mont Saint Clair, on pouvait croiser un "M. Valéry", fonctionnaire à Paris, qui faisait paraître des poèmes dans la Revue Maritime Marseillaise. C'était le temps (novembre 1896) où se montait, rue de l'Esplanade (actuelle rue général de Gaulle), le cinématographe Demeny. On s'y divertissait tout en jugeant que "ce procédé d'images animées...n'ait qu'un avenir forain". Car les distractions, à Cette, ce sont des nouveautés, comme la mise en service des lignes de tramways électriques (janvier 1901) qui remportent auprès du public "un colossal succès". Ils émerveillent et flattent la fierté cettoise. On peut se rendre des Halles à La Peyrade et du môle à la Corniche ! Et puis bien sûr, il y a les fêtes : au Carnaval et à la Saint Louis. Celle-ci n'est pas évoquée comme fête votive le 17 août 1898, mais comme l'occasion de la parade de la "très célèbre Société mixte de gymnastique et de tir la Cettoise", pour la fête de la Fédération des Sociétés de Gymnastique. Là, suivant le correspondant, "Cette s'étourdissait de gaieté et de musique". Les joutes et la Saint Louis sont (un peu indirectement) mentionnées lors de l'évocation du personnage du "Mouton", le jouteur légendaire Louis Vaillé.

 

Si la Saint Louis était le moment de la communion des cœurs des Cettois, la ville était aussi remuée par les courants politiques et sociaux de l'époque. En mars 1896, on manifeste contre l'augmentation du prix du pain. En mai 1901, les transporteurs font grève et parcourent la ville en cortège. Mais aussi, grande émotion chez les habitants de la ville-port : en juin 1894, Jeronimo Caserio, un lombard de 21 ans mitron à la boulangerie Viala au quai d'Alger, poignarde à Lyon le président de la République Sadi Carnot. Soupçonnant des complicités à Sète, la police enquête. Viala est inquiété, 21 personnes sont interrogées.

Et dans la presse, on juge bon de désavouer le geste "repoussé avec horreur et indignation". Autre épisode politique marquant, la venue de Jaurès le 3 juillet 1898 pour plaider la cause du capitaine Dreyfus. L'attitude d'un journaliste est telle que le natif de Clarens est prêt de perdre son sang froid. Et puis, c'était au temps où l'escadre de la Méditerranée faisait escale à Sète. La France se voulait grande puissance maritime pour soutenir son effort de rayonnement dans le monde. Ainsi, la France est présente en Extrême-Orient et en août 1900, l'aspirant Herber trouve la mort en défendant les légations occidentales à Pékin.

 C'était au temps où on exaltait la conquête de l'Ouest et où les Anglais guerroyaient au Transvaal. Et, Venisette ou petit Menton, on accueillait des touristes à Cette où la lumière était toujours aussi belle.

Hervé Le Blanche.

Evoquer Cette, la "ville-port".

 

Si l'Histoire est l'évocation du passé, il y a bien des façons de "faire de l'Histoire". L'ouvrage, "Jours de Cette" dû à la collaboration de François Mottier pour le texte et Jean Brunelin pour l'iconographie, en est un exemple (éd. L'An Demain, 5 quai d'Alger, Sète).

En effet, avec la correspondance supposée d'un jeune commis négociant suisse, Baptistin Vulliez, c'est Cette d'avant la Grande Guerre qui est évoquée.

 

Jean Brunelin, dans la préface, brosse le décor des épisodes qui seront présentés. A la charnière de la dépression économique des années 1870 et alors que s'amorce la Belle Epoque, "… L'abondance nouvelle viendra évidemment de la mer, car Cette est une ville-port, un port dans une ville où les bateaux sont dans la rue et la mer toujours à portée de regard". Cette, avec les canaux baignant les pieds de la "collinette" de Saint Clair, sera surnommée la "Venisette" par le citoyen du canton de Vaud.

Et le natif de Clarens (sur la riviera genevoise) aurait été sensible, dès l'abord, à la lumière qui éblouit sa prunelle, même en octobre avant qu'il n'en apprécie tout l'éclat (nécessitant le port de verres colorés) au mois de juin. Voilà qui est bien vu, mais on peut être déçu que notre Helvète soit muet sur la douceur du climat en général. Il est vrai qu'il avait tant à voir et à dire.

Aussi ne fait-il que signaler en une occurrence les quais "bruts et décharnés", très professionnels avec pour certains "de vastes alignements de futailles parmi lesquels évoluent gens et véhicules". Mais en dehors du négoce, le milieu marin impose ses contraintes générant parfois difficultés et épisodes dramatiques.

 Ainsi le steamer Anaïs-C fit naufrage en janvier 1895 au large de Marseille. Parmi les 13 disparus, on compte un citoyen de Frontignan et le mousse Honoré Xiffre, 14 ans. Et comme nombre de Cettois sont inscrits maritimes, lorsque la soute à poudre du cuirassé Iena explose à Toulon, on déplore 2 victimes cettoises à qui on fera des funérailles solennelles.

Et puis, le 25 octobre 1898 : "Pandémonium, capitale des Enfers, a ouvert ses portes…". Baptistin Vulliez considère "la scène dantesque d'un navire d'un seul coup enflammé, son pont entier lancé dans les airs, puis retombant dans l'hideux fracas que feraient les os brisés d'un Titan". Le tocsin sonne, on accourt de toutes parts. Le brick goélette Tomase Padre, chargé de fûts de pétrole, est en feu. L'incendie menace les navires voisins également chargés de fûts de pétrole. Le Tomase Padre fut extrait du port par le navire pilote le Vigilant et remorqué jusqu'à la plage de Frontignan. Les pêcheurs quant à eux connaissaient des difficultés : on s'inquiétait déjà de la baisse de la ressource et un vieux sage préconisait la fermeture de la pêche à certaines époques, comme il existe la fermeture de la chasse.

 

Voilà une agréable plongée dans le passé, guidée par un style un peu naïf et apprêté (Baptistin est jeune), présentant parfois de belles envolées, comme pour le phare de Saint Clair, "Polyphème de la mer"

Hervé Le Blanche

 

Pour en savoir plus :https://www.landemain.fr/regionalisme/sete-bassin-de-thau/jours-de-cette

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Sète, fin XVIII è : le tabac peut brûler.

Une manufacture de tabac fonctionnait à Sète à partir de 1751. Production lointaine, le tabac était conditionné dans la ville, ce qui soulevait de nombreux problèmes, en particulier celui des incendies. La manufacture brûla en partie en 1779 et jusque dans les années 1780 se posa la question des "incendies" des rebuts de tabac.

 

Les sources disponibles aux Archives municipales ne donnent pas d'indication sur les circonstances de la création d'une manufacture de tabac à Sète.

 

Tabac, Récolte, Feuilles, PalatinatLouis Dermigny, dans Naissance et croissance d'un port, nous apprend qu'elle fonctionna à partir de 1751 en conditionnant du tabac de Virginie qui arrive par les ports anglais (Whitehaven) et surtout écossais (Ayr, Aberdeen, Glasgow). L. Dermigny n'explique pas comment s'est constituée cette filière d'approvisionnement quelque peu insolite : Sète n'utilise pas du tabac métropolitain (on pense aux plantations du sud-ouest), ni issu des colonies. Et la route du tabac connut plus d'animation dans les années 1770-1775, ainsi qu'à la fin des années 1780 (1787 et année suivante).

Or, il arrive que le tabac brûle quand on ne le désire pas. Le 21 septembre 1779, la manufacture est en partie détruite par le feu. Cinq salles d'opérations spécialisées sont réduites en cendres. On aurait pu craindre de plus lourds dégâts, mais le prompt secours de la garnison a limité le désastre. Et la manufacture n'a pas cessé de fonctionner. Et les déchets divers de tabac ont continué à être brûlés dans son enceinte ou dans les rues, les sources sont peu claires à ce sujet.

 Sont tout aussi peu claires les circonstances et les affaires diverses suscitées par "les incendies des cottes de tabac". A la lecture des pièces d'archives, on peut penser que la manufacture avait obtenu cette possibilité de par l'appui de la cour des Aides de la province, ce qui lui avait permis d'obtenir des lettres patentes (sorte de décrets royaux). Mais les "incendies" toujours renouvelés entretenaient la crainte d'un embrasement général et des inquiétudes pour la santé des habitants. Ceux-ci s'inquiétaient des feux sans cesse renouvelés et qui parfois duraient : ainsi en 1783, un "incendie" commença le 25 octobre et dura jusqu'au 5 décembre.

Un procès verbal a été dressé à la suite de "dessentes" chez des particuliers qui se plaignaient et l'on a établi officiellement la durée de l'incendie et les plaintes que cela a suscité.

 

Le conseil de la Communauté se fit l'écho de ces craintes et s'engagea dans une longue guerilla juridique afin d'obtenir la cessation des "incendies". On en fit constater les méfaits pour la santé des habitants par deux médecins experts. On fit appel aux autorités de la province, en 1778, en 1784.

 

En pure perte. La Communauté, en cette fin XVIII è, ne put obtenir la cassation de l'arrêt motivant la décision. On envisagea d'opérer les "brûlements" hors de la ville et ce fut, semble-t-il à cette époque, le seul résultat concret. Même si brûler du tabac fut reconnu nocif pour la santé...

Hervé Le Blanche

Le premier service anti incendie à Sète.

Avant 1789, Sète était un gros bourg de près de 9 000 habitants. Il s'est urbanisé peu à peu (pavage et nettoiement des rues). Mais lutter contre les incendies était difficile, faute de service spécifique anti incendie.Suite à de nombreux mécomptes, le corps de ville organisa la lutte anti feu par une délibération du 17 janvier 1784.

 Curieusement, parmi les raisons justifiant la mise en place d'un corps anti incendie, le consul de la Communauté n'évoque pas l'incendie qui ravagea la manufacture de tabac , en septembre 1779, dont nous aurons l'occasion de reparler. Le conseil de ville invoque "la triste expérience qu'on vient de faire lors du dernier incendie dans la nuit du 15 au 16 du mois à la maison du Sieur Cornu".

Et, d'après le secrétaire, "le matériel a manqué pour lutter contre les flammes". Plus grave, les volontaires, semble-t-il, ne se sont pas bousculés pour "calmer l'incendie". C'est scandaleux, note le secrétaire. L'incendie ne fut circonscrit et éteint que par l'intervention de la troupe en garnison à Sète et des équipages des bateaux stationnant dans le port.

Ainsi, il n'y avait ni personnel, ni matériel spécifique pour lutter contre les sinistres, fléau de l'Ancien Régime économique où l'on utilisait davantage de bois dans la construction. Il est bien spécifié que les officiers municipaux durent user d'autorité pour inciter à lutter contre l'incendie de la maison Cornu. Mais on peut douter de l'efficacité de tels "volontaires", au surplus dépourvus de moyens d'action.

 Les choses ont dû changer après janvier 1784. Désormais, il y aura un corps anti incendie pourvu de moyens. Les moyens ? La Communauté va emprunter auprès des habitants de la "ville" pour acheter 4 pompes munies de manches en cuir pour "faire parvenir l'eau du canal dans les quartiers les plus élevés de la ville". A cela s'ajouteront 300 paniers goudronnés, sans doute pour faire la chaîne à la sortie des pompes.

On se soucie d'étouffer le feu, sûrement avec de la terre puisqu'on fait l'achat de 60 pioches et 50 "pailes" (pelles) de fer. On achètera aussi 4 brouettes. On se soucie également de limiter les dégâts car on prévoit l'achat de scies et de haches, sans doute pour arrêter la progression des flammes. Le personnel de ce premier corps de "pompiers" sera composé de 4 "divisions" de maçons, charpentiers, plâtriers, couvreurs, dont les membres seront choisis par les officiers municipaux. Charpentiers, menuisiers et autres artisans se feront remplacer pour répondre à l'appel quand sonnera le tocsin. Ils devront être sur les lieux du sinistre un quart d'heure après. Leur retard ne pourra excéder deux heures, sous peine d'une forte amende.

 Les "pompiers" ne doivent obéir, pour éviter la confusion, qu'à leur chef de division. Ceux-ci prennent leurs ordres des Ingénieurs du roi ou d'un architecte qui, normalement, doit être présent sur place. Structure, hiérarchie, discipline ont certainement contribué à venir à bout du fléau des incendies.

Hervé Le BlancheSapeurs Pompiers, Hache, Emblème, Feu

Le transport du vin par l'étang de Thau.

L'influence de Sète se faisait sentir, surtout au XIXè siècle, sur les petits ports de l'étang (en fait, la lagune) de Thau : Bouzigues, Mèze, Marseillan. Pour amener du vin à Sète, ou en exporter (ainsi que des alcools) par le canal du Midi vers Toulouse, des types spécifiques de bateaux furent utilisés. Ils remplirent leur office jusqu'à ce que, dans le cas de Marseillan, les camions citernes les supplantent.

 Tonneau De Bois, Baril, Tonneaux En Bois

Dans l'ouvrage Le Transport du vin sur le canal du Midi (éd. Causse, 1999, collection La Journée vinicole) sont distingués trois types de bateaux de transport. Etait utilisée même la "barque de mer", petite tartane à quille horizontale de 15 mètres de long pour 5 de large, tirée par une voilure latine classique. Pour naviguer sur l'étang et en partie sur le canal du Midi, on utilisait la "barque de patron" ou "barque de canal". Cette embarcation à fond plat, aux flancs presque rectilignes et aux extrémités très pleines, pouvait emporter 120 tonnes de fret.

Longue de 28 mètres pour 5,3 de largeur, elle supportait 1,60 m d'enfoncement. Le mât central était aisément abattable. Il portait une voilure latine en navigation sur les étangs, mais une voile carrée en guise d'auxiliaire pour le trajet sur le canal. Entièrement pontée, la barque de canal emportait en cale et en pontée des demi-muids de vin (soit 800kg) ou des cargaisons de blé, d'huile, de sel. Par ailleurs, une barque n'était ni "de mer", ni "de canal", c'était la "barque sétoise". Plus allongée que la barque de mer, la proue pourvue de guibre (soutènement en bois du beaupré), d'un gréement latin, elle transportait des demi-muids de vin depuis les petits ports de l'étang de Thau vers Sète.

 

A l'ouest du bassin de Thau, le port de Marseillan, nous rappelle-t-on, était actif dès le Moyen-Age. Il profita de la proximité de l'embouchure du canal du Midi dès 1689 quand fut mis en eau le tronçon Trèbes-Les Onglous, ce qui ouvrit la voie vers Toulouse. Et dès le XVIIIè furent établis des liens avec Sète où l'on allait livrer des variétés locales de vin, appréciées parfois par des négociants parisiens.

Mais c'est à la fin du XIXè siècle que le trafic sur l'étang connut son apogée. Les 3 barques de canal de l'armateur Germain Cousin assuraient la liaison avec Toulouse. Une dizaine de barques assurent le trafic avec Sète en 1894. Elles abordent au lieu dit "Tabarka", en face des chais des établissements Bulher qui font commerce de vin en gros. Or, malgré les travaux de dragage, l'envasement envahissait le port. Et le trafic se poursuivit à la baisse. Cependant, en 1920-21, 14 bateaux "d'assez fort tonnage" (?) assuraient le trafic vers Sète des vins et alcools. Les embarcations étaient celles de 3 armateurs : Emmanuel Henri (4 bateaux), Alexis Miramond (4 barques dont laMarseillaise, le Saint Pierre), Louis Boudou (6 barques dont le Saint Etienne, le Brûle l'Air, Les trois frères).

 

En 1960, le trafic touchait à sa fin : un seul bateau alimentait les établissements Noilly-Prat et Baïsse. Les camions l'avaient emporté. La route avait vaincu la voie d'eau.


Hervé Le Blanche

Sette, 1790 : la fin des privilèges.

Après la nuit du 4 août 1789 et les décrets pris les jours suivants par l'Assemblée nationale, l'Ancien Régime socio-politique s'est écroulé. De nouvelles institutions administratives ont été mises en place en mai-juin 1790. Elles ont veillé à l'abolition des privilèges fiscaux, ce qui a causé quelques embarras à la communauté sétoise.

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De l'été 1789 à celui de 1790, se met en place un nouvel ordre politique en Languedoc comme dans toute la France. Le plus remarquable, c'est que cette mise en place du corps politique s'est effectué dans "une espèce de tranquillité", sans émotions populaires dans les villes, sans troubles dans les campagnes. Selon R. Laurent et G. Cavignaud (La Révolution dans le Languedoc méditerranéen, Privat 1987), s'est produit dans le calme un phénomène majeur, la révolution municipale, installant la main mise de la bourgeoisie sur la vie locale.

Sète avait connu l'émeute d'avril 1789, comme Agde peu de temps après. Et il fallut chasser l'évêque-comte, seigneur de Sette, de sa demeure pour qu'il résigne son pouvoir temporel. Alors, en 1790, à Sette, c'est une municipalité élue qui administre la communauté avec de larges pouvoirs, y compris des pouvoirs fiscaux. Elle va en user pour tenter de faire rentrer les impôts qui n'ont plus été payés pour les 6 derniers mois de l'année 1789. Mais, déclare le maire Castilhon le 20 avril 1790, il n'y aura pas d'exemptions au paiement de ces sommes. Et les "détempteurs [sic] de biens privilégiés" devront les faire connaître. Comme personne ne le fait, le corps de ville affirme sa volonté d'évaluer (grâce au cadastre) et de taxer ces biens.

 Simple et logique, peut-on dire. Mais lorsque la taille fut supprimée le 20 avril 1790, la municipalité de Sette s'émut : la communauté en était exempte, ce qu'avait confirmé Louis XIV "par décrets du conseil d'Etat de 1673, 1675" et autres. Sette, en vertu de cette antique exemption, n'aurait-elle pas droit à un allègement de sa contribution ? D'autant que, selon le consul, l'activité de Sette est bénéfique pour tout le Languedoc et que, pour établir une communauté sur "ce rocher stérile", il faut bien concéder quelques avantages pour y attirer les populations. Tout au long de près de deux pages, le registre municipal égrène les abjections. Les biens de la communauté ne sont ni des fiefs nobles, ni des bénéfices ecclésiastiques. La commune ne peut en disposer. Bien sûr, il serait louable de faire des sacrifices au nom de "l'intérêt général de la France", mais on n'en appelle pas moins "aux principes d'humanité et de justice" de l'Assemblée nationale. Ainsi, des députés vont se rendre à Montpellier et le département sollicitera l'Assemblée.

 Par ailleurs, il faut actualiser le cadastre afin d'évaluer la valeur des biens. Et le Conseil émet le souhait d'une imposition "sans inexactitude, sans omissions et sans inégalité". Le tout après examen et "discussion préalable". A Sette, l'impôt doit-il être payé comme ailleurs ?

Hervé Le Blanche

Photo HLB