Il explique que la lutte contre les inégalités et pour les femmes seules avec enfant(s) doit être inscrite dans le réel, avec des actions fortes et porteuses d’espoir. Cette tribune fait suite à l’une sur la laïcité (publiée dans Marianne) et l’autre sur la gratuité des transports en commun (publiée dans Le nouvel observateur).
« Combattre la précarité invisible des femmes seules avec enfants »
Tribune publiée sur le site de Marianne mercredi 30 mars à 12h39.
Parler des femmes seules avec enfant(s), c’est mettre en lumière une réalité : 85 % des familles monoparentales sont des femmes ; non pour glorifier ou entrer dans une forme de misérabilisme, mais pour que chacune et chacun puissent prendre la mesure de cette précarité cachée, afin d’adapter nos politiques publiques et nos comportements. C’est en identifiant cette vulnérabilité que l’on répond au besoin de justice sociale et que l’on apporte une réponse au combat universaliste. À tout niveau, nous devons porter leur voix et répondre à leurs besoins, car la fragilité qui découle de nombreuses causes est trop invisibilisée par des dogmes qui appartiennent au passé.
Si l’utilisation du terme « familles monoparentales » est juste parce qu’il inclue les hommes dans une démarche d’égalité, elle a pour effet de les mettre dans une catégorie parmi tant d’autres. Le propos ne peut être de nier ou stigmatiser les pères : nous aurions tort de différencier les difficultés qui se posent à eux. Il s’agit de comprendre que ces familles ne sont pas toutes égales du point de vue du genre. Il s’agit de compenser une inégalité profonde dans notre société, qui place les femmes en situation de fragilité, en les laissant assumer seules la charge mentale, financière et éducative d’une famille.
Les politiques doivent se saisir de cette question parce que nous devons prendre en compte le manque de temps et de disponibilité pour mener ces combats. Parce que le quotidien est trop lourd et qu’elles portent la charge mentale d’une famille, elles sont souvent absentes du champ de la représentation. Comment trouver le temps, la ressource, l’énergie de s’investir en plus dans un parti, un syndicat ou un mouvement citoyen ?
La question des droits des femmes rejoint forcément celle des femmes seules avec enfant(s), car comme tous les combats féministes, elle vise à sortir les femmes de l’invisibilité ou de la discrimination. Comme Gisèle Halimi, Delphine Seyrig, Simone Veil ou encore les 343 femmes qui signaient le manifeste du 5 avril 1971, nous devons refuser aujourd’hui de faire subsister le mythe d’une femme qui n’exprime pas ses besoins car la société les a trop longtemps relégués.
Les responsables politiques sont face à un vaste défi contemporain : celui d’assurer les conditions de l’indépendance et de l’épanouissement des femmes seules avec enfant(s). Il est temps que cet angle mort des politiques publiques soit dans nos esprits et dans nos actes. Notre rôle est celui de leur redonner le choix : le choix de donner une éducation exigeante à leurs enfants, le choix de se cultiver, le choix de travailler comme elles le souhaitent, le choix de maintenir une vie sociale. En identifiant les zones de fragilité, nous comprenons que les enjeux se font à tous niveaux, car c’est un ensemble de facteurs qui les poussent à l’isolement et à la précarité.
La conciliation de leur vie professionnelle et personnelle est moins facile, car elles n’ont pas le choix. C’est pour cela que nous devons veiller à développer une politique de petite enfance ambitieuse : plus le mode de garde est souple, moins l’on est propices à la perte de son emploi. Nous devons faire preuve d’innovation avec par exemple des chèques dédiés à la garde d’enfants pour les parents ayant des emplois à horaires atypiques.
La cantine est un levier important pour alléger la charge d’une famille, tant c’est un enjeu financier et de santé des enfants. Dès la première rentrée scolaire après notre arrivée en fonction à la mairie de Montpellier en 2020, tous les parents seuls bénéficiaient d’une tarification à 50 centimes par repas, près de 4 fois moins que le premier tarif alloué précédemment. Cela représente à Montpellier 2 000 enfants déjeunant à la cantine, soit un enfant sur dix. Parmi eux, certains, qui quittaient leurs camarades chaque midi faute de moyens, peuvent désormais bénéficier d’un repas chaud de qualité, sans peser sur la charge mentale et le pouvoir d’achat de leur parent.
Nous savons l’importance que l’école représente pour ces mères dont la charge de l’éducation repose sur leurs seules épaules, car le soir, c’est à elles d’aider aux devoirs, d’expliquer un exercice, de suivre l’enfant dans son parcours scolaire. Plus l’école publique sera de qualité, plus leur confiance en elle leur permettra de se sentir soutenues dans ce défi.
À Montpellier, nous avons fait le choix de mettre en place un soutien scolaire, public, laïque et gratuit dans toutes les écoles élémentaires de la ville. C’est une manière de partager la charge de l’éducation, d’abord financière, en permettant de faire des économies par rapport à des cours du soir payants, délivrés par des entreprises privées. C’est aussi une manière de partager la charge mentale de l’éducation d’un enfant, que tout parent veut de qualité. Au-delà de l’école, à Montpellier, la création d’une aide de 50 € pour la première inscription à une activité culturelle ou sportive d’un enfant ou adolescent a permis d’accompagner ces familles, comme beaucoup d’autres, dans l’émancipation de leurs enfants.
Nos efforts pour aider ces familles doivent se poursuivre à tous les niveaux : politiques de logement, dialogue social, réduction des inégalités de salaire… La question des femmes seules avec enfant(s) est une question profondément sociale, qui met les responsables politiques face à l’urgence : celle de réduire toutes les sources d’inégalités entre les femmes et les hommes.
Réduire la question des femmes seules avec enfant(s) à une dimension seulement financière serait un leurre, en stigmatisant des êtres vulnérables sur tous les plans. Cette vue courte de l’esprit n’a pas sa place dans un débat où il est question de comprendre une réalité sociale. Ces femmes peuvent être cadres, médecins, cheffes d’entreprise ou occuper des emplois à responsabilité. Elles sont pourtant plus propices à la pauvreté : à Montpellier, 37% des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté, contre 27% de la population montpelliéraine.
Aujourd’hui, les dangers restent nombreux et nous devons redoubler de vigilance et de détermination pour établir l’égalité réelle et la justice sociale. Ces dangers se repèrent facilement lorsqu’un candidat à l’élection présidentielle profite de tribunes populistes pour relayer une vision passéiste. Ils sont aussi présents, plus sournoisement, quand le législateur décide maladroitement de cesser le versement de l’allocation de soutien familial (destinée aux parents isolés) en cas de mariage, PACS ou concubinage du parent seul. Rien n’indique que le nouveau compagnon apportera les ressources nécessaires aux enfants qui ne sont pas les siens : cette mesure renforce l’isolement des mères seules, en plus de légitimer un préjugé tenace, celui selon lequel l’homme doit entretenir la femme. Le législateur doit veiller, sur tous les sujets, à défendre un intérêt général qui ne se construit pas en opposition avec l’intérêt des femmes.
Ce pendant peu identifié de l’égalité doit être mis en lumière pour être intégré à nos décisions et nos choix. La lutte contre les inégalités et pour les femmes seules avec enfant(s) doit être inscrite dans le réel, avec des actions fortes, porteuses d’espoir. Il s’agit de notre colonne vertébrale, en tant que femmes et hommes de gauche, que de mener ce combat universaliste avec toute notre force. Sans cela, nous ne saurions être justes et conformes à nos idéaux qui défendent l’égalité femmes-hommes, la lutte contre la précarité et l’épanouissement de chacune et chacun.