La mémoire oubliée des "Rouges" de l’étang de Thau
«Gibraltar, Un Pont entre deux Mondes» est une revue au luxe discret et audacieux, loin du papier glacé et de la frime ostentatoire de certaines parutions. La couverture au charme élégant offre au premier regard une qualité d’impression rare, on y devine la prouesse technique dans ses caractères en relief et une volonté affichée de cohérence et d’harmonie dans le graphisme et le choix des couleurs. Les dossiers qui y sont développés en prés de 180 pages sont de nature à satisfaire le lecteur curieux et exigeant par leur précision et la qualité de l’écriture. Gibraltar sort des sentiers battus pour aborder des thèmes inattendus et les traiter dans un parti-pris de clarté, sans dogmatisme ni moralisme. Le numéro 9 vient de paraître, il présente un grand nombre de dossiers, enquêtes, récits...
La mémoire oubliée des "Rouges" de l’étang de Thau
Ce récit de François de Mones et Annabelle Perrin nous rappelle un épisode des mouvements sociaux nés dans les années suivant l’effervescence de Mai 68. Des revendications qui ont abouti à la distribution de 340 concessions conchylicoles sur l’étang de Thau. Pour faciliter l’installation, la coopérative conchylicole des Cinq Ports a été créée. Ce type d’économie sociale et solidaire a permis à bon nombre d’exploitants de vivre correctement mais aussi de transformer durablement ce site exceptionnel. Mais «après un âge d’or dans les années 1970 et 1980 le métier est devenu de plus en plus difficile» constatent les auteurs. Les comportements individualistes ont eu raison des «rêves d’utopie réaliste». Les problèmes liées à l’urbanisation autour de l’étang, aux changements climatiques, aux conséquences du marché mondialisé, assombrissent un peu plus les perspectives. «Dans les années 1990, il y avait 800 conchyliculteurs dans tout l’étang de Thau répartis sur 2 400 tables... Aujourd’hui il n’y en a plus que 450. Le nombre de pécheurs est quand à lui passé de 800 à 200 mais seule une cinquantaine en vivrait réellement» précise Raymond Serveille, témoin de cette évolution. Mais «le bassin possède encore des atouts exceptionnels et les idées ne manquent pas pour lui permettre de retrouver son dynamisme» déclare Denis Regler, directeur du comité régional conchylicole de Méditerranée. Les conchyliculteurs exploitent à présent de nouvelles pistes pour donner au secteur un nouvel éclat «c’est possible, tous les ingrédients sont là pour que ça reparte», ajoute-t-il, en guise de conclusion optimiste.
La revue comporte de nombreux autres récits, dossiers, enquêtes. Feriel Alouti rappelle un épisode dramatique de 1943, la rafle du Vieux Port de Marseille et la destruction du quartier. Un certain nombre de survivants et de descendants de victimes veulent que la justice se penche sur cette histoire et la qualifie de crime contre l’humanité. Marseille mais aussi Tanger, Barcelone, Lisbone, Gabès, Le Caire sont le cadre d’histoires politiques, culturelles, environnementales... d’un intérêt évident. Une enquête d’Hacène Belmessous met en parallèle deux villes, Béziers et Perpignan, «en déshérence au temps de l’extrême droite», et qui «ont abandonné le vivre-ensemble au profit d’un entre-soi qui pourrait s’avérer dévastateur».
Sur un autre registre, Santiago Mendieta raconte l’exploit de quatre aquanautes. En juillet 2019 Laurent Ballesta, Yannick Gentil, Antonin Guilbert et Thibault Rauby à bord d’un module pressurisé ont réalisé quelques quatre cents heures de plongée à grande profondeur, jusqu’à 140 mètres. Les observations, les prélèvements, les mesures, les images qu’ils en ont ramené grâce à leur équipement mais aussi à leur courage en font une aventure scientifique au bilan hautement positif.
D’autres chapitres sont encore à découvrir dans ce numéro 9 de «Gibraltar», revue particulièrement riche et originale, disponible sur le site ou dans toutes les bonnes librairies. Michel Puech