Un projet d'installation de panneaux photovoltaïques et d'une usine de production de méthane qui fait débat
Menace sur le Larzac et sa biodiversité
Mi-septembre, a eu lieu la journée porte ouvert organisée par la société Arkolia pour le projet « SOLARZAC ».
Nous avons rencontré les bénévoles de l’association « Terres du Larzac, Terres de biodiversité, Terres de paysans » venus protester contre le projet d’installation de panneaux photovoltaïques et d’une usine de production de méthane sur la commune de Le Cros (34520) sur la ferme de « Calmels ». Cette manifestation de protestation nous interpellés étant donné le contexte actuel de recherche de solutions écologiques aux problèmes d’énergie.
Pour en savoir plus,Bernadette Dubus s'est rapprochée de Dominique Voillaume, bénévole de l’association et membre du CA, et responsable au comité département de la confédération paysanne.
DOMINIQUE : UN PARCOURS ATHIPIQUE : Une enfance passée à Paris. Née à Pau. Et des vacances chez ses grands-parents ont déterminé sa future vie. « Ça me faisait bader quand je voyais passer des enfants sur une charrette de foin. »
Bonjour Dominique. Vous défendez le milieu paysan avec détermination. Pouvons-nous savoir à quel titre ? Quel est votre parcours de vie ?
Je suis née à Pau, mais j’ai passé toute mon enfance à Paris. J’allais en vacances chez mes grands-parents. Ça me faisait bader quand je voyais passer des enfants sur une charrette de foin. Après le baccalauréat, je me suis dirigée vers le DEUG Science de la nature et de la vie. J’avais besoin de me dépenser mais ne n’étais pas spécialement portée vers le sport. Ce choix m’a paru une évidence. Ensuite, je suis tombée amoureuse du causse du Méjean. J’ai fait une formation de bergère et passé un BPA. J’ai travaillé sur un domaine de 1600 hectares appartenant aux propriétaires du château de Saint Maurice Navacelles. C’est ainsi que j’ai rencontré mon mari Daniel, technicien à la coop et qui venait acheter des agneaux. Nous avons voulu nous installer dans le coin. La pression foncière étant très forte sur le plateau, nous sommes partis dans le Lot élever des brebis – race Caussenardes du Lot, celles qui ont des lunettes noires autour des yeux. En 1981 avec la baisse du prix des agneaux, les propriétaires ont voulu mettre en fermage. D’anciens salariés sont devenus fermiers. C’est ainsi que nous avons commencé sur la ferme de la Barre avec 500 brebis. En 2001, je me suis beaucoup impliquée dans la confédération paysanne au moment du squat de de la Cisternette. Avec le groupe citoyens du Caylar, ce même groupe qui a été lanceur d’alerte au moment du projet SOLARZAC, nous avons organisé une réunion publique sur le loup.
Evènements à l’origine de de création de l’association : Historique du projet SOLARZAC.
— Pouvez-vous nous expliquer l’origine de l’association ? Est-elle en rapport avec le projet Solarzac ?
Oui, l’association s’est créée à l’occasion et contre le projet Solarzac. Au moment de la création du projet, des lanceurs d’alertes naturalistes ont contacté des citoyens du Caylar. Il s’est d’abord constitué un groupe informel.
SOLARZAC est un projet industriel porté par une entreprise privée. Au départ il était question d’une superficie de 400 hectares de panneaux photovoltaïques au sol, superficie qui a été revue à la baisse pour être ramenée de 200 hectares. S’ajoute une usine de fabrication de méthane.
C’est un projet qui peut bouleverser la vie du plateau. « Une intrusion violente et colonisatrice » prenant les terres agricoles pour un gisement minier. De plus, sur les prospectus SOLARZAC, il était écrit que la LPO était partenaire du projet alors que c’était faux. La LPO a réagi. Ils n’étaient absolument pas d’accord, de même que beaucoup d’élus. Avant la création de l’association, il y a eu des réunions publiques. Les élus et les naturalistes ont cherché un intervenant agricole. Ils me jugeaient trop virulente. Ils se sont tournés vers la FDSEA qui a refusé. Du coup, ils m’ont invitée. J’ai d’abord demandé l’aval de la Confédération paysanne. Avec Amandine, la responsable foncière de la confédération paysanne, lors de la première réunion, c’est en duo que nous avons marqué les esprits.
C’est ainsi que vous êtes rentrée dans l’association ?
Oui. On m’a demandé de rentrer au CA et j’ai eu l’aval de la Confédération paysanne. Au départ, le nom état Terres du Larzac, Terres de biodiversités. J’ai demandé qu’on ajoute « Terres de paysans » mais je me demande si cela n’aurait pas été plus judicieux de mettre Terres Paysannes car c’est sans compter toutes les femmes qui travaillent dans le milieu agricole, ne serait-ce que les conjointes solidaires qui ne touchent pas de salaires mais sont partie prenante de l’exploitation ».
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le projet que vous dénoncez ?
Actuellement, notre combat porte sur le projet d’industrialisation du Larzac par une entreprise privée. Il s’agit de l’industrialisation du site de Calmels par une construction de panneaux photovoltaïques sur une surface de 200 hectares. Également pour faire passer la pilule, de belles promesses d’un projet « agropastoral » sous les panneaux avec le pâturage de brebis. Plus 600 hectares ouverts au public pour des balades et des observations, et une usine de méthanation.
Tout cela semble pourtant une bonne opération étant donné le contexte énergétique actuel ? Quelles sont les raisons qui vous font vous opposer au projet ?
Plusieurs raisons et pas des moindres. Tout d’abord la notion de conflit d’intérêts. Les personnes favorables au projet essayent par tous les moyens de faire « ami-ami » avec les propriétaires de terres agricoles en proposant l’achat des terrains à des prix exorbitants jusqu’à 40 fois les prix agricoles régulés par la Safer. Ami-ami également avec les maires des communes et autres décideurs publics. Il s’agit d’une intrusion violente dont n’ont pas conscience les acteurs du projet de cette société. Intrusion violente et colonisatrice. C’est comme si je venais installer chez vous une bibliothèque sans vous demander votre consentement. D’autre part, la construction de l’usine impliquerait de gros travaux d’infrastructures : routes, lignes à hautes tensions, transformation du paysage agricole et touristique. Nous sommes pour l’énergie renouvelable, bien entendu ! Mais je tiens à attirer l’attention sur la notion de complexité du problème. La société Arkolia n’a aucune compétence pour accompagner les paysans. En plus, les propriétaires risquent de geler leurs terres en attente d’une aubaine au lieu de les faire travailler. Actuellement, beaucoup de jeunes sont en cours d’installation sur le Larzac. Des enfants d’agriculteurs et des nouveaux venus ont fait des formations. Il y a beaucoup de candidats à la reprise des fermes au moment des départ à la retraite. Même les gros domaines de plus de 600 hectares ont des candidats. Depuis le retour à la terre des années 70/80 les reprises et créations d’exploitations ne se sont jamais arrêtées.
Qu’en est-il de l’idée de faire paître des brebis sous les panneaux photovoltaïques ?
L’éleveur risquerait de perdre son statut de paysan en même temps que son autonomie. Il s’agirait de prestations de service. En fait, on reviendrait comme au Moyen-Age. Alors que le statut de fermage protège le fermier.
Y a-t-il d’autres problèmes liés à cette éventuelle création d’un site industriel ?
En plus des menaces pour l’installation des jeunes, le choix de la production d’énergie nuirait à la production alimentaire et lui ferait une concurrence déloyale. Autrefois Calmels était une ferme laitière. A la fin des années 70 elle avait un troupeau modèle. C’est là que j’ai appris à tondre les brebis quand je préparais mon BPA. C’était une ferme qui avait un fort potentiel. Cadastrée essentiellement terre et landes elle est soumise aux lois agricoles. L’agriculture et l’élevage sur le Larzac permet à des hommes et des femmes de vivre sur cette terre et nourrir la population. Actuellement, c’est une chasse privée. Les animaux domestiques ont été remplacés par des animaux de chasse. Allez voir le site. Vous y trouverez un mirador et une clôture de deux mètres de haut.
A votre avis, la biodiversité est-elle en danger ?
En effet. Il y a une menace sur plusieurs sites protégés. Car le projet industriel Solarzac est totalement inclus :
Dans le réseau Natura 2000. Soit : deux zones Spéciales de Conservation au titre de la Directive européenne sur la protection des habitats, et deux zones de protection Spéciale au titre de la directive européenne sur la protection des oiseaux.
Dans le cœur du patrimoine mondial de l’UNESCO au titre des paysages culturels et l’agropastoralisme méditerranéen.
Dans le périmètre du grand site de France de Navacelles.
Outre la menace sur l’agriculture paysanne dont nous avons déjà parlé, ce projet détruirait des milieux ouverts où vivent des centaines d’espèces protégées : oiseaux (aigle royal et busard cendré, chevêche et Craves à bec rouge) ; fleurs (Centaurée des montagnes, anémone pulsatile) ; champignons ; insectes (Machaon) ; reptiles (Lézard ocellé) ; et chauve-souris, etc. Un couple d’aigles royaux cesserait de se reproduire et disparaitrait.
N’y a-t-il pas d’autres alternatives à l’installation de cette immense zone de panneaux sur ce site ?
Bien sûr que si ! On pourrait développer l’énergie photovoltaïque de façon raisonnée et raisonnable sur d’autres zones : toitures, parkings délaissés, terrains déjà dégradés, anciennes carrières et décharges, friches industrielles. Il n’en manque pas.
Quelles sont les prises de position des organismes ?
Contre ce projet, beaucoup de voix se sont levées pour dire leur indignation : le collectif 34/12 ; Confédération paysanne ; Conseil scientifique du Bien UNESCO Causses et Cévennes ; CPIE des Causses méridionaux ; fédération des grands Causses ; France Nature Environnement Languedoc Roussillon ; LPO Hérault et Nationale ; Syndicat mixte d’Etudes et de pilotage du grand site de Navacelles ; Toutes nos Energies Occitanie environnement ; Communes de Sorbs, La Couvertoirade, Vissec, Campestre et Luc, Bureau des maires de la communauté de communes du Lodévois Larzac.
La journée du 10 septembre sur la ferme, pouvez-vous nous en parler ?
C’était une journée d’information organisée par les responsables d’Arkolia à Calmels. Notre manifestation était légale et déclarée sur la route qui mène à la ferme. Les responsables qui devaient peut-être s’ennuyer par manque de public sont venus nous voir, ce qui a été perçu comme de la provocation par les manifestants. Malgré des légitime réactions énervées des manifestants, tout a été bien maitrisé. Tout s’est passé dans le calme. Nous avons laissé la parole aux représentants d’Arkolia. Ils ont apprécié d’avoir pu prendre la parole et surtout que nous la leur ayons donnée. Néanmoins la directrice n’est pas arrivée à convaincre les manifestants et elle a même reconnu qu’il n’y avait aucun consensus entre eux et les agriculteurs. Le côté lutte des classes était bien visible. A la première porte ouverte d’Arkolia, il y avait eu des plaquettes publicitaires, des sacs, des carnets, des stylos et même des … yoyos ! Cela avait été perçu comme « une invasion de colons face à des indigènes ». En ce qui nous concerne, des plaquettes faites avec les moyens du bord.
Avez-vous prévu des actions à venir ?
Le permis de construire n’ayant pas encore été déposé, nous avons bon espoir que ce projet ne voit pas le jour. Mais nous sommes prêts à aller plus loin au cas où ce serait nécessaire. Jeudi 20, je devais participer à la manifestation de la Confédération paysanne devant le Sénat qui doit voter des lois sur le photovoltaïque sur les terres agricoles. Du fait des problèmes de transports je ne pourrai pas m’y rendre mais j’ai alerté par courriel le sénateur Cabanel sur notre argumentaire.
Merci Dominique pour toutes ces informations. Nous n’hésiterons pas à revenir vers vous si c’était nécessaire.
Propos recueillis par Bernadette Dubus